Au Sénégal, c’est la crise au Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade. Le PDS se déchire depuis l’élection présidentielle de février 2019. La candidature de Karim Wade, fils de l’ancien président, condamné pour enrichissement illicite et en exil au Qatar depuis 2016, avait été retoquée. Le parti n’avait donc pas présenté de candidat. Mais cette stratégie du « Karim sinon rien » l’a profondément divisé. Longtemps numéro deux de la formation, Oumar Sarr en a été écarté. Et d’autres piliers du parti libéral ont quitté le navire. Pour Oumar Sarr, le PDS est aujourd’hui mort, et cela à cause de Karim Wade. Oumar Sarr est l’invité de Charlotte Idrac.
Rfi : Oumar Sarr, est-ce que vous considérez que vous êtes toujours membre du PDS ?
Oumar Sarr : Oui, formellement, je suis membre du PDS. Mais comme vous le savez, il y a eu une note circulaire signée par le président Wade disant qu’Oumar Sarr s’est auto-exclu. Bien sûr, nous avons pensé que cette note est nulle et non avenue, illégale en tous points de vue. Une personne, la plus importante soit-elle, ne peut pas rayer quelqu’un d’un parti. Il faut des instances, il faut des structures… Ce sont les statuts qui le disent, c’est le règlement intérieur qui le dit. Donc je ne sais pas dans quel monde ils sont. Je pense quand même qu’ils marchent sur la tête Depuis déjà plus d’un an, il n’y a plus de direction du PDS qui se réunit. Le PDS est un peu perdu dans les vagues.
Dans cette note que vous évoquez, signée par Abdoulaye Wade, vous êtes accusé «de saper l’unité du parti» ou encore«d’actes de défi». Comment est-ce que vous avez réagi à cette note ?
Cela m’a fait d’abord rigoler. Je me suis dit que, vraiment ces personnes ne se prennent plus au sérieux. Nous, on a supposé que c’est Karim Wade qui l’a écrit et que c’est son père qui l’a signée. Nous avons, bien sûr, réfuté totalement cette circulaire, illégale en tous points de vue.
Vous évoquez Karim Wade. Pour vous, c’est lui ? C’est Karim Wade, le problème de fond du PDS ?
Oui, absolument. Lors de l’élection présidentielle de 2019, Karim Wade était notre candidat. Je rappelle quand même qu’il était en prison quand nous l’avons élu. Le congrès du PDS l’a élu candidat. Nous nous sommes battus, nous l’avons libéré. Et après, il a maintenu sa candidature, sachant bien qu’il n’allait jamais, jamais, revenir pour être candidat. Moi-même, on m’a désigné comme directeur de campagne, soi-disant. Directeur de campagne d’un candidat fictif. Il (Karim Wade) n’est pas venu et ensuite cela a créé une crise importante du parti. Parce que, s’il savait dès le départ qu’il n’allait pas venir, on aurait pu – nous, à l’intérieur du PDS -, trouver une solution alternative. Donc, il nous a caché la vérité, et il manipule vraiment son père. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui par son père sont en réalité pré-signées par Karim Wade.
Karim Wade reste silencieux. Que veut-il, à votre avis ?
En réalité, je pense qu’il est plus intéressé par les affaires que par la politique. Parce qu’il ne veut pas d’amnistie, comme il dit, il veut la reprise de son procès. Si c’est un homme politique qui veut être candidat à une élection quelconque, l’amnistie suffit largement, mais apparemment, il veut autre chose. Il ne sait pas faire la politique.
En plus, on n’hérite pas d’un parti comme le PDS qui a une histoire. Le PDS existe depuis 1974. Il ne faut pas venir comme cela et dire : ‘’Mon père est vieux, je le remplace’’ et créer une espèce de fan-club Karim Wade – et dire que c’est cela, le parti. Donc, nous pensons que, ce qui l’intéresse, aussi, c’est de prendre éventuellement en otage le PDS pour l’utiliser plus tard pour ses affaires.
Après la présidentielle de février 2019, vous avez participé au Dialogue national, à son ouverture en mai dernier, sans l’aval d’Abdoulaye Wade, patron du PDS. Pourquoi cette initiative ?
Quinze jours avant, j’ai discuté avec le président Wade. Le président Wade avait donné son accord total sur le Dialogue national. Il m’avait mandaté pour y aller. Le soir vers 20 heures, il y a eu un communiqué du PDS et dans le communiqué on disait que le PDS n’allait pas au Dialogue national.
Je savais déjà que Karim Wade ne voulait pas de ce Dialogue national. Il voulait comme préalable que le président Macky Sall se prononce sur la révision de son procès. Et voilà qu’à cette occasion, on prend une mesure non concertée. Cela n’a jamais eu lieu. C’est vraiment la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je me suis dit : je vais prendre mes responsabilités et aller au dialogue national, expliquer aux militants, aux populations du Sénégal, pourquoi je suis allé au Dialogue national.
En août dernier, vous avez lancé le mouvement Sukhali Sopi, avec d’autres ténors du PDS, Amadou Sall ou Babacar Gaye. Où en est-on de cette alliance ?
Vous voyez un peu partout dans le département au nord ou au sud du Sénégal, des responsables, des sections entières qui se déclarent aujourd’hui membres de Sukhali Sopi. Nous ne pouvons pas, aussi, rester comme cela les bras croisés ! Le PDS n’existe plus en réalité ! Il n’a plus aucune activité ! Donc nous ne pouvons pas mourir avec ce PDS-là et nous allons démontrer que la plupart des militants et responsables du PDS sont avec nous. Nous allons le démontrer dans les élections à venir.
Les élections locales ?
Les élections locales, qui normalement devraient avoir lieu au plus tard fin mars 2021.
Et donc, éventuellement, l’ambition serait de présenter des candidats sous la bannière Sukhali Sopi ?
Oui, absolument. Aujourd’hui, on ne se voit pas être les candidats PDS du fan-club de Karim. Nous pensons incarner le PDS en ce qu’il a de plus sain, de plus combatif. Donc si la coquille PDS n’est plus utilisable, il faudra bien définir une autre stratégie et probablement à être carrément un parti.
Donc la guerre est réellement déclarée avec Abdoulaye Wade et les Karimistes ?
Le président Wade, nous le respectons. Nous allons toujours continuer à le respecter. C’est notre mentor, en quelque sorte. Mais le fan-club Karim n’est pas le PDS, pour nous. Nous pensons que nous l’incarnons mieux. Nous ne pouvons pas, ni arrêter, ni reculer. Nous allons continuer.